Newsletter numéro 7 – Septembre 2023
Bonne rentrée à tous.
Un été calme avec toujours les mêmes thèmes récurrents : hausse de la détermination écologique, hausse des taux, baisse de l’immobilier, hausse de l’inflation.
On a vu que tous les pays se sont fixé des objectifs de neutralité carbone avant 2050. Pour l’Allemagne qui refuse le nucléaire, mais qui veut sortir du charbon avant 2030, la tâche va être immense. De l’autre côté de l’Atlantique, on parlera ici du défi que BlackRock a lancé aux instances politiques américaines.
Les actions eux montrent une résistance incroyable au vu des rendements obligataires toujours plus élevés.
Rappel : la prochaine conférence aura lieu le 14 Septembre à 13h00 et aura pour thème « l’intelligence artificielle va-t-elle révolutionner le trading ? ».
L’usure de l’usure
À partir de ce vendredi 1ᵉʳ septembre 2023, le taux d’usure maximal autorisé, ou taux annuel effectif global (TEAG) pour les prêts immobiliers à taux fixe de 20 ans et plus, augmente à 5,56% en France, comparé à 5,33% en août 2023. Ils culminent aussi à 4,23 % pour les crédits de moins de dix ans, 5,28 % pour ceux de dix ans à moins de 20 ans.
Le taux d’usure désigne le TAEG maximum auquel une institution financière peut accorder un prêt à un particulier. Tout prêt avec un taux supérieur est considéré comme usuraire et donc nécessairement interdit. Il faut savoir que, historiquement, la Banque de France fixe le taux d’usure chaque trimestre. Toutefois, à titre exceptionnel, depuis février 2023 et pour une période de 6 mois, elle accepte une révision mensuelle.
Rappelons que le taux d’usure pour un prêt immobilier sur 20 ans était à 3,57 % le 1er janvier 2023.
Il affiche ainsi une croissance de près de 2 points en 8 mois. Sur le dernier de septembre, le taux d’usure passe de 5,33 % à 5,56 %. Les banques peuvent donc désormais prêter à plus de 5 %, atteignant des niveaux jamais vus depuis 2008.
De fait, un ménage qui pouvait emprunter 600 000 euros il y a deux ans sur 20 ans ne pourra en obtenir que 400 000 d’ici quelques semaines.
Cet effondrement de la capacité d’emprunt s’accompagne en plus d’une complexification des procédures.
De plus en plus exigeantes, les banques demandent désormais aux particuliers de mettre 20 % d’apport personnel sur la table pour pouvoir accéder au crédit. De plus, revient sur la table les problèmes associés aux diagnostics de performance énergétique (DPE) : dans la lignée de l’interdiction progressive des passoires énergétiques, les banques réclament davantage d’apport lorsque les logements sont mal notés.
Pour rappel, les habitations notées G et F seront respectivement interdites à la location en 2025 et 2028.
Le marché immobilier parisien tourne donc au ralenti depuis quelques mois. Les acheteurs sont moins nombreux et les délais de vente se sont rallongés. Dans de nombreux arrondissements de Paris (pas les beaux quartiers mais plutôt les arrondissements 11 à 20) les prix ont commencé à baisser. Mais si les beaux quartiers semblent encore épargnés, la clientèle – plus rare qu’auparavant – continue de payer le prix fort pour répondre à ses attentes.
La baisse des prix s’accélère donc sérieusement dans les villes les plus chères et la flambée du coût du crédit a des conséquences fortes.
Et la correction des prix devient sévère dans les villes les plus chères de France. Pour Paris, on est sur une baisse de prix qui va de 5 à 7% sur un an. Il y a également un recul de 5% environ à Lyon. Et plus spectaculaire encore pour Bordeaux où la baisse des prix dépasse les 13%.
La surprise des NFP de septembre
On pensait cet été que l’Euro était sur un trend haussier et la plupart des analystes le voyait au-dessus de la zone 1,12 / 1,15 pour le 1er trimestre 2024.
Pas de chance pour les bullishs sur l’euro, ce jeudi l’inflation en baisse et le ton prudent de la BCE a jeté un pavé dans la mare. Et les chiffres du chômage américain, bien que décevants ont terminé le travail
L’euro s’était très largement replié jeudi après que les marchés ont choisi de prêter une attention particulière à l’inflation de base plus encourageante pour la zone euro, plutôt qu’à la légère hausse de l’inflation globale. On le sait l’inflation de base est un indicateur plus long terme pour les tendances inflationnistes et les chiffres de jeudi étaient plutôt encourageants
L’inflation de base s’est établie à 5,3 %, conformément aux attentes, mais représente une baisse par rapport aux 5,5 % du mois dernier.
En outre, la communication récente des responsables de la BCE suggère qu’une approche plus prudente sera adoptée par le conseil des gouverneurs avant la réunion de la banque centrale du mois prochain.
Quelques instants avant que Christine Lagarde ne s’adresse aux délégués à Jackson Hole, Isabel Schnabel, une des plus fervents supporteurs au sein de la BCE d’une politique haussière en taux, suggérait que le comité avait assoupli sa position précédente ce qui pourrait amener le groupe à se ranger du côté de la prudence si la décision d’augmenter ou de maintenir les taux était finement équilibrée.
La difficulté qui persistait en aout venait du fait que pour la parité EUR/USD, il y avait une vulnérabilité qui apparaissait dans les deux devises.
D’une part le dollar s’est affaibli en raison du ralentissement de la performance du PIB et des premiers signes de ralentissement du marché de l’emploi – un élément que la Fed considère comme essentiel pour ramener l’inflation à l’objectif de 2 %.
Mais les risques de baisse se sont également accumulés pour l’euro en raison d’une inflation globalement en baisse et des inquiétudes concernant la croissance qui semblent peser sur les membres de la BCE avant la décision sur les taux d’intérêt qui sera prise le mois prochain.
Sur cela arrive le chiffre attendu par tout le monde : le NFP (nous en avons parlé souvent ici) – le chiffre de l’emploi américain.
Dans ce contexte, l’EUR/USD, qui avait marqué un sommet journalier à 1.0880 en début d’après-midi, a dégringolé après les chiffres du chômage, jusqu’à un creux à 1.0772 hier soir, soit une chute de plus de 100 pips en quelques heures, et la paire de devise a clôturé au plus bas à 1.0776.
Pourtant le rapport NFP, s’est révélé globalement décevant, avec des créations d’emplois supérieures aux attentes (187k contre 170k anticipé), mais compensées par une très forte révision baissière des chiffres du mois précédent (de 187k à 157k).
Le taux de chômage a de plus affiché une hausse surprise à 3.8% contre 3.5% anticipé ce qui pourrait indiquer que la FED ne montera pas ses taux à sa prochaine réunion. Alors pourquoi cette hausse du dollar surprise ?
Les taux, toujours les taux
Car les taux obligataires remontaient, celui à dix ans s’inscrivant à 4,17% contre 4,10% un jour plus tôt.
La raison vient peut-être des les cours du pétrole vendredi qui flambaient avec un baril de WTI dépassant les 85 dollars, un plus haut en près de dix mois.
“Des hauts prix de l’énergie vont rendre le travail de la Fed plus difficile” en ajoutant une pression sur les prix, a noté l’analyste de ForexLive.
“La banque centrale va devoir attendre plus longtemps avant de baisser les taux”, a-t-il ajouté.
Ce qui forcément ajouté à la volonté des intervenants de garder ce dollar qui donne des rendements extraordinaires un peu plus longtemps
Le Marteau et l’Enclume
Inflation, ralentissement, récession, cet été aura été dans la lignée de cette année si particulière.
Entre récession et inflation, les banques centrales, FED comme BCE, ont toujours autant de mal à trouver l’équilibre. Et sont pris entre la « nécessité » de lutter contre l’inflation, et l’obligation de ne pas trop freiner l’économie qui a vraiment du mal à décoller.
En Europe, la hausse des taux pèse toujours autant sur la croissance
Même s’il est plus obscur que d’autres indicateurs (inflation, chômage, etc.), Le PMI manufacturier (Purchasing Manager’s Index) est un indice très suivi par les marchés
Il permet de connaître et de déterminer la santé économique d’une zone géographique puisqu’il mesure l’activité économique dans le secteur manufacturier d’un pays en se fondant sur des données fournies par les directeurs d’achats des entreprises.
C’est donc un outil précieux pour suivre l’évolution de l’économie et prendre des décisions en matière d’investissement, de politique monétaire et de planification économique et conséquemment suivi par les économistes pour comprendre la tendance économique actuelle et anticiper les changements à venir.
Il est calculé par des instituts de recherche économique sur la base de questionnaires qui portent sur différents aspects de l’activité de l’entreprise, tels que la production, les nouvelles commandes, les stocks, l’emploi et les délais de livraison des fournisseurs. Les réponses sont généralement sous la forme d’indices, où une valeur de 50 est considérée comme la limite entre une croissance et une contraction.
Une valeur supérieure à 50 indique une expansion de l’activité manufacturière, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique une contraction.
Ce mois d’Août dans la zone euro, les entreprises ont été touchées par de fortes baisses de la production et des nouvelles commandes.
L’indice composite de la zone euro, qui mesure l’activité des entreprises dans l’ensemble des 20 pays, est tombé à 47, son niveau le plus bas depuis 33 mois, après une contraction soudaine de l’activité des services et un déclin continu de l’industrie manufacturière au mois d’août.
Les prévisions des analystes anticipaient pour le PMI une valeur de 48,5 et un tel chiffre et une telle contraction soulèvent de fait de forts doutes quant à la persistance du relèvement des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne le mois prochain.
En tombant de 48,6 le mois précédent, l’indice s’est déjà enfoncé sous la barre des 50 qui sépare la contraction de l’expansion et a renforcé les craintes d’un ralentissement au cours du second semestre de cette année. Le recul de l’indice PMI de la zone euro, qui atteint son niveau le plus bas depuis novembre 2020, est le reflet d’un net ralentissement dans le secteur des services, où l’activité s’est contractée pour la première fois depuis décembre. Cela s’ajoute à une contraction continue, bien que moins sévère, du secteur manufacturier.
Ces sombres perspectives économiques rendent moins probable un nouveau relèvement des taux d’intérêt par la BCE lors de sa réunion du mois prochain.
De fait, la hausse des taux moins probable du côté de Frankfurt a pesé sur la parité Euro contre Dollar. Sur une tendance très haussière avec les niveaux de 1,1200 dans le viseur, l’euro a reculé de près de 3 % par rapport au dollar, à moins de 1,08.
De même, le rendement des obligations allemandes à deux ans, a baissé de plus de 15 points de base pour passer pour la première fois depuis longtemps sous les 3%
L’enquête a également révélé que les entreprises font état d’une inversion des récentes baisses des pressions inflationnistes.
Les prix moyens facturés par les entreprises pour les biens et services se sont accélérés pour la première fois en sept mois, ramenant le taux au-dessus de la moyenne à long terme.
Les sombres perspectives économiques ont incité les investisseurs à réduire leurs paris sur une dixième hausse consécutive des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne lors de sa réunion du 14 septembre. La forte baisse continue des données PMI met bien sûr à l’épreuve l’optimisme de la BCE en matière de croissance et on peut s’attendre maintenant à ce que la BCE fasse une pause en septembre.
Mais il n’est pas encore certain que l’inflation soit au niveau souhaité par la BCE. S’exprimant lors de la conférence annuelle de la Réserve fédérale américaine à Jackson Hole, dans le Wyoming, Mme Lagarde a encore averti le 23 Août que les récents bouleversements de l’économie mondiale menaçaient d’entraîner des changements durables, maintenant les pressions inflationnistes à un niveau plus élevé que la normale et compliquant le rôle des responsables de la politique monétaire.
Elle a de plus déclaré que les banquiers centraux devaient être “extrêmement attentifs à ce qu’une plus grande volatilité des prix relatifs ne se répercute pas sur l’inflation à moyen terme par le biais de salaires qui “chassent” les prix de manière répétée”.
Alors quoi faire ? Continuer à monter les taux en laissant les entreprises de plus en plus pessimistes sur les perspectives économiques ?
On l’a vu la semaine dernière, tous les indices renforcent les signes indiquant que l’économie européenne se dirige vers une nouvelle récession. Avec en tête l’économie allemande, qui n’est pas visiblement sortie d’affaire avec un indice global de confiance des entreprises allemandes qui a chuté de 1,7 point pour atteindre 85,7, son niveau le plus bas depuis dix mois.
Source : FT
Les résultats négatifs reflètent ceux d’une enquête menée plus tôt cette semaine auprès des directeurs d’achat, qui a révélé que les entreprises allemandes ont subi la plus forte baisse d’activité depuis plus de trois ans, en raison de la diminution des nouvelles commandes, de la production et des stocks.
Powell toujours plus haut à Jackson Hole
Aux états unis c’est le même dilemme.
Jérôme Powell, le président de la Réserve fédérale, a promis, lors d’un discours très attendu, que sa banque centrale resterait fidèle à sa volonté d’éradiquer l’inflation élevée « until the job is done » et a déclaré que les responsables étaient prêts à augmenter encore les taux d’intérêt si nécessaire.
Cela a mis un gros coup d’arrêt aux marchés actions qui ont subi dans la même semaine les mauvais chiffres du PMI européens et les mauvais chiffres de l’économie chinoise.
Même si Powell a souligné que la Fed essayait de trouver un équilibre entre le risque d’en faire trop et de nuire à l’économie plus que nécessaire et le risque d’en faire trop peu, il s’est bien gardé de faire un tour de piste sur le récent ralentissement de l’inflation. Son discours a mis l’accent sur un point essentiel : Les autorités veulent voir davantage de progrès pour être convaincues qu’elles maîtrisent réellement la hausse des prix.
Il déclare ainsi : “The message is the same : It is the Fed’s job to bring inflation down to our 2 percent goal, and we will do so,”.
Pourtant, M. Powell a clairement indiqué que la Fed n’était pas forcément pressée de relever à nouveau ses taux, mais il est resté prudent quant au risque de poursuite de l’inflation.
L’augmentation des prix a considérablement diminué au cours des derniers mois, pour atteindre environ 3 %. Si ce chiffre reste supérieur à l’objectif d’inflation de 2 % que s’est fixé la Fed, il est tout de même en net recul par rapport au pic de 7 % atteint l’été dernier.
Pour rappel, la Fed a porté les taux d’intérêt à une fourchette de 5,25 à 5,5 %, alors qu’ils étaient proches de zéro en mars 2022, pour lutter contre l’inflation.
On voit sur le graphe ci-dessous que les taux restent très haussiers au moins jusqu’au début 2024, avec des hausses de taux prévues jusqu’à Janvier 2024 avant d’entamer un cycle de baisse de taux qui reste tout de même tout à fait hypothétique.
La nouveauté du message est pourtant là : non seulement la Fed a laissé la porte ouverte à la possibilité d’une nouvelle augmentation des taux, mais elle a aussi clairement indiqué qu’il n’était pas incongru de laisser les taux d’intérêt élevés pendant un certain temps, ce qui vient en face de certaines prévisions qui pensait que la hausse des taux serait temporaire.
Toutefois, le président de la Fed indique agir avec prudence en évaluant les données entrantes et l’évolution des perspectives et des risques et décidera s’il convient de poursuivre le resserrement ou, au contraire, de maintenir le taux directeur à un niveau constant et d’attendre de nouvelles données
Alors des communications tout de même très difficilement lisibles : il semble que le message suggère que à l’instar de la BCE, la FED n’est pas déterminée à relever les taux d’intérêt lors de leur prochaine réunion en septembre et pourraient plutôt attendre plus tard dans l’année avant de décider si les coûts d’emprunt doivent continuer à augmenter.
En adoptant une attitude patiente, les autorités disposeraient de plus de temps pour évaluer l’impact sur l’économie des mesures qu’elles ont déjà prises.
On l’a vu, l’homologue de M. Powell, Christine Lagarde a tenu des propos totalement similaires sur la politique dans l’économie de l’euro et au niveau mondial lors de cette même conférence de Jackson Hole, même si les incertitudes qu’elle a soulignées étaient à plus long terme.
Mais Mme Lagarde a souligné qu’il était essentiel de rester engagé à atteindre la stabilité des prix, à l’objectif d’inflation actuel de 2 % de la banque centrale, même dans un monde incertain.
M. Powell a semblé d’accord. Au cours de son propre discours, il a réfuté les spéculations croissantes des économistes selon lesquelles la Fed pourrait – ou devrait – relever son objectif d’inflation, ce qui le rendrait plus facile à atteindre.
BLACKWOKE
Le Géant Vert
Tout le monde connait BlackRock et son CEO emblématique Larry Fink. En revanche, nous connaissons probablement moins l’engagement ESG du gestionnaire d’actifs.
Pour ceux qui vivraient dans une cave, il est peut-être utile de rappeler que BlackRock est le géant de l’asset management. Fondé en 1988, l’entreprise est célébrée pour le montant faramineux de ses actifs sous gestion : en effet BlackRock gère plus de 9000 milliards de dollars. C’est 7 fois plus que le leader européen Amundi. C’est aussi 3 fois le PIB de la France …
Les actifs gérés sont très divers et comprennent une vaste gamme de produits financier : fonds communs de placement, fonds négociés en bourse (ETF), fonds de pension, comptes de gestion discrétionnaire, etc.
Par sa taille, BlackRock avait souvent dans le passé été pris pour cible par de nombreuses manifestations activistes pour protester contre son inaction face à la crise climatique.
De fait, il y a quelques années BlackRock entamait son virage vert.
Car l’engagement ne date pas d’hier puisque Fink écrivait déjà en 2018 : « Les entreprises doivent se poser la question suivante : “Quel rôle jouons-nous dans la communauté ? Comment gérons-nous notre impact sur l’environnement ? Travaillons-nous à la création d’une main-d’œuvre diversifiée ?”
Fink continuait sur le même registre dans sa lettre annuelle de 2020 destinée aux dirigeants des entreprises dans lesquelles BlackRock investit. Il annonçait ainsi des transformations fondamentales dans la manière de gérer les fonds.
Le géant de la finance avait alors décidé d’inscrire la durabilité comme norme en manière d’investissement.
Ainsi, depuis des années, BlackRock et son PDG Larry Fink, défendent les stratégies d’investissement ESG. Quand on gère autant d’argent, au vu de l’influence considérable qu’il exerce automatiquement sur les marchés financiers internationaux, c’est un passage quasi obligatoire.
En tant que plus grand investisseur au monde, le groupe est un symbole du secteur financier dans son ensemble, présent dans plus de 30 pays avec des bureaux dans les principales places financières du monde. Il entretient donc des relations étroites avec de nombreux acteurs clés de la finance mondiale, notamment des banques, des compagnies d’assurance, des gouvernements et des institutions financières.
L’engagement climatique
« Le changement climatique constitue désormais un facteur déterminant dans les perspectives long terme des entreprises », soulignait encore en 2020 Larry Fink. BlackRock exige désormais des entreprises qu’elles communique des informations normées sur les risques liés au climat.
En particulier les entreprises devaient indiquer comment elles entendaient respecter les Accords de Paris afin de limiter le réchauffement de la planète à moins de deux degrés. Il déclare alors que « … nous vérifierons que les entreprises gèrent et surveillent correctement ces risques dans le cadre de leur activité. En l’absence de rapports précis, les investisseurs seront de plus en plus enclins à conclure que les entreprises ne gèrent pas les risques (…) de façon appropriée » ?
BlackRock a ainsi multiplié les annonces sur sa politique de gestion en préparant par exemple l’extension de sa gamme de fonds indiciels cotés (ETF) durables, avec la création de fonds « jumeaux » pour les produits les plus populaires. Mais aussi une intégration systématique de l’analyse des risques ESG dans la composition de tous les portefeuilles ou encore l’exclusion des portefeuilles de gestion active des entreprises réalisant plus de 25 % de leur chiffre d’affaires dans l’extraction du charbon thermique d’ici à la fin de l’année.
Au-delà, le groupe compte encourager ses clients à adopter la version «durable» de ses ETF, qui seront proposés « à un prix comparable », et travailler avec les fournisseurs d’indices pour améliorer les offres de produits. Mais ce sera bien à ses clients de faire le choix de changer de produit au profit de l’offre verte.
Le Parti Républicain, le pétrole et l’ESG
Le virage vert du géant de l’investissement n’est pourtant pas au gout de tout le monde.
Le parti républicain en particulier, qui affirme que BlackRock est en violation de leur obligation fiduciaire en poursuivant un programme idéologique au détriment des rendements financiers. Le fameux “We can’t do well when we’re doing good”
Ainsi, certains États de la Bible Belt des USA, du Texas à la Virginie, états très marqués par le parti républicain mais aussi par l’industrie pétrolière, ont retiré des milliards à BlackRock afin d’empêcher les fonds de pension publics de prendre en compte l’ESG dans leurs décisions d’investissement.
Le pétrole et le gaz suscitent des réactions hostiles à l’égard de l’ESG, considéré comme une menace pour les industries pétrolières, gazières et charbonnières, alors que les États rouges luttent contre l’abandon des combustibles fossiles.
Les Républicains s’attaquent ainsi aux entreprises “woke” et ont lancé des enquêtes sur l’influence des grands gestionnaires de fonds dans des domaines aussi variés que la réduction des émissions ou la justice raciale.
Les Républicains s’insurgent donc : “Aussi louables que soient ces objectifs, ils ne sont pas entièrement motivés par la maximisation de la valeur et ne correspondent pas aux opinions de nombreux Américains qui investissent auprès de ces gestionnaires d’actifs”
L’ancien vice-président Mike Pence a critiqué le fait de faire passer des objectifs “de gauche” avant les intérêts des entreprises et de leurs employés, lors d’un discours sur la politique énergétique prononcé à Houston en mai dernier.
Dans un certain nombre d’États, les républicains proposent des projets de loi visant à boycotter les entreprises qui s’engagent dans la voie du développement durable. Les républicains de la Chambre des représentants ont déclaré qu’ils prévoyaient d’enquêter sur l’ESG lors d’auditions au Congrès cette année.
Plus généralement, les législateurs républicains du pays accusent BlackRock et d’autres gestionnaires d’actifs d’utiliser leur influence pour promouvoir des politiques libérales et exercer une pression indue sur les entreprises pour qu’elles réduisent leurs émissions ou embauchent des conseils d’administration plus diversifiés.
Chez BlackRock, on n’est pas de cet avis : la directrice générale de BlackRock déclare ainsi “Nous n’avons qu’un seul parti pris : c’est d’obtenir les meilleurs rendements ajustés au risque pour nos clients”.
M. Fink nie aussi toute motivation politique. “Le capitalisme d’actionnaires n’a rien à voir avec la politique. Il ne s’agit pas d’un programme social ou idéologique.
Pourtant les trois géants de l’Asset Management, BlackRock, de Vanguard et State Street, participe à la coalition Net Zero Asset Managers, composée d’entreprises qui se sont engagées à ce que leurs portefeuilles n’émettent pas de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
En réaction, un livre blanc rédigé par les républicains de la commission sénatoriale des banques, du logement et des affaires urbaines a contesté la participation cette coalition. De ce fait, Vanguard a indiqué qu’elle se retirait de la coalition afin de “montrer clairement qu’ils s’exprimaient en toute indépendance sur les questions importantes pour leurs investisseurs.
Le marteau et l’enclume
Ainsi, pour les républicains, le gestionnaire néglige les meilleurs rendements, en se souciant en priorité des valeurs sociales ou environnementales.
Pour le camp démocrate bien sûr c’est tout l’inverse, et BlackRock représente l’exemple même du grand fonds capitaliste qui ne se soucie que d’un minimum de green washing pour continuer à jongler avec les milliards sans qu’on l’embête. De l’autre côté du spectre politique, les démocrates et les écologistes ont reproché à BlackRock de ne pas en faire assez sur le front de l’ESG et de conserver des participations importantes dans des entreprises de combustibles fossiles et des fabricants d’armes à feu.
Ce nouveau front de la guerre des cultures s’intensifie alors que le parti républicain a pris le contrôle de la Chambre basse des représentants en janvier 2023 mais que d’autre part la Securities and Exchange Commission a proposé d’obliger les entreprises à divulguer les risques que le changement climatique fait peser sur leurs activités lorsqu’elles déposent des déclarations réglementaires.
Les efforts environnementaux des entreprises comprennent souvent la réduction de l’empreinte carbone et le désinvestissement des combustibles fossiles. Les investisseurs tiennent désormais compte de ces efforts lorsqu’ils décident dans quelles entreprises investir, et cette tendance gagne du terrain.
En 2021, de grands gestionnaires de fonds se sont rangés du côté d’un investisseur activiste, Engine No. 1, pour obtenir des sièges au conseil d’administration d’Exxon Mobil, dans le cadre d’une campagne de procuration visant à inciter le géant pétrolier à mieux se préparer aux réalités financières du changement climatique.
Le vote sur Exxon a montré aux républicains à quel point les trois principaux gestionnaires de fonds – BlackRock, Vanguard et State Street – ont de l’influence sur les entreprises publiques.
Un groupe de 19 procureurs généraux d’État enquête sur le rôle des banques dans une coalition visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils affirment que les banques favorisent les entreprises qui suivent un “programme de lutte contre le réchauffement climatique”.
Ron DeSantis, gouverneur de Floride et potentiel candidat à la présidence en 2024, est l’un des chefs de file du mouvement anti-ESG. Il a marqué des points politiques en menant une guerre contre la “wokeness” des entreprises, qu’il s’agisse de la législation limitant la manière dont les employeurs privés proposent des formations à la diversité ou de la querelle avec Walt Disney au sujet de son opposition à la législation de l’État interdisant l’enseignement de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle dans les classes de la maternelle à la troisième année d’école.
Power to the People
Larry Fink a décidé de frapper un grand coup : il vire vers la démocratie directe. Alors que le gestionnaire d’actifs s’efforce de réfuter les allégations des républicains selon lesquelles il poursuit un « agenda woke », la dernière lutte entre les républicains et BlackRock s’est déplacée du terrain de l’environnement au terrain de l’investissement.
En effet, depuis deux ans, BlackRock promeut une responsabilité des investisseurs en leur donnant l’option de voter sur ce à quoi servira leur argent.
Un système que l’entreprise veut étendre à une part croissante des fonds qu’elle gère, en particulier à son fonds star de plus 350 milliards de dollars, IVV. Le gé(r)ant va donc donner aux investisseurs de son plus grand fonds la possibilité de participer au vote par procuration en 2024 et joint par là même ses homologues State Street et Vanguard pour expérimenter des moyens d’impliquer les investisseurs ordinaires dans le vote des propositions d’actionnaires, à un moment où leur influence collective sur les entreprises américaines a été critiquée par la gauche et la droite.
Charles Schwab avait commencé à sonder les investisseurs particuliers dans trois fonds l’année dernière, Vanguard a mené un projet pilote impliquant trois fonds ce printemps et State Street a lancé un programme plus vaste en avril.
Les investisseurs pourront choisir entre une politique de vote tournée vers les profits, ou au contraire plus respectueuse d’enjeux moraux et climatiques. Ils seront ainsi invités à choisir parmi sept politiques générales différentes, allant du vote général avec la direction à la priorité donnée aux valeurs catholiques ou aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ce système devrait être mis en place pour la saison de vote par procuration de 2024 et sera un test grandeur nature pour mesurer l’intérêt des investisseurs dans ce genre de système responsabilisant.
Les investisseurs pourront également demander à BlackRock de continuer à exercer les droits de vote attachés à leurs actions mais les clients ne seront pas en mesure d’exprimer des votes spécifiques sur des sociétés particulières.
Les politiciens républicains au niveau fédéral et des États ont accusé les grands gestionnaires de fonds de faire passer les objectifs sociaux et environnementaux avant les rendements financiers des investisseurs, ce qu’ils nient tous.
Les militants sociaux progressistes, quant à eux, sont furieux que les gestionnaires de fonds aient soutenu une part plus faible des propositions d’actionnaires sur les questions climatiques qu’ils ne l’avaient fait en 2021 mais les gestionnaires de fonds affirment que les propositions étaient devenues trop prescriptives et qu’elles n’étaient plus dans l’intérêt des investisseurs.
“And the winner is …”
No B.S
Nous l’avions dit ici à plusieurs reprises, le gouvernement suisse avait offert un sacré cadeau en livrant sur un plateau le cadavre encore chaud de Credit Suisse à son concurrent zurichois UBS.
Mais hier 31 août UBS a encore plus assommé le marché en annonçant le plus gros bénéfice trimestriel jamais réalisé par une banque soit 29 milliards de dollars. L’action a d’ailleurs immédiatement bondi de 6% après cette annonce.
UBS a également mis fin à la ligne d’aide de 100 milliards de francs suisses offerte par la Banque nationale suisse au plus fort des turbulences du printemps qui avaient abouti au rachat du Credit Suisse.
Depuis qu’elle a accepté de sauver le Credit Suisse en mars, l’action UBS a augmenté de près de 40 %. Les actions UBS ont atteint jeudi matin leur plus haut niveau depuis 2008 …
Goodwill
Le précédent bénéfice bancaire trimestriel le plus élevé était de 14,3 milliards de dollars, enregistré par JPMorgan au début de l’année 2021. On est donc ici au plus du double … D’ailleurs si on exclut le gain comptable, UBS a toutefois enregistré un bénéfice avant impôts de 1,1 milliard de dollars pour le trimestre.
Car effectivement le gain est un gain comptable, mais c’est quand même une énorme brique et on peut se demander qui sont ceux qui sont les perdants de l’autre côté du ring (en fait nous le savons et nous y reviendrons plus tard).
Rappelons que UBS avait « accepté » de sauver son rival en difficulté le 19 mars 2023 en rachetant le Credit Suisse pour 3 milliards de francs suisses dans le cadre d’une transaction boursière négociée par le gouvernement suisse et FINMA.
Rappelons aussi que La BNS (Banque nationale suisse) avait soutenu l’opération en fournissant 100 milliards de francs suisses de liquidités à UBS à la suite de la reprise des activités du Crédit Suisse et qu’en outre, 16 milliards de francs suisses d’obligations Coco Additional Tier 1 (AT1) avaient alors été ramenés à zéro par les autorités monétaires suisses (les voilà les perdants !).
Ce bénéfice record de 29 milliards de dollars avant impôts annoncé hier est presque entièrement dû à la plus-value comptable qu’elle a enregistrée sur le rachat de 3,4 milliards de dollars.
Ce gain comptable est connu sous le nom de “goodwill négatif”.
Il reflète la différence entre la valeur des actifs du Crédit Suisse dans ses livres et le prix (très inférieur) payé par UBS pour les acquérir. Les 29 milliards représentent donc l’écart entre le prix consenti pour l’acquisition de Crédit Suisse et la valeur intrinsèque de la banque helvétique, compte tenu de la reprise des actifs à risques de cette dernière, estimés à 238 milliards.
On peut se demander si UBS aurait dû payer beaucoup plus pour cette acquisition mais il faut se rappeler que d’une part UBS avait dans un premier temps proposé beaucoup moins (le quart de la transaction finale), et que l’affaire s’est faite le temps d’un week-end.
Le scandale des AT1
Évidemment, si les 16 milliards d’obligations étaient encore dans le bilan d’UBS le résultat aurait été très différent et la spécificité suisse des AT1 a grandement favorisé la banque zurichoise.
En effet, dans le cadre de la reprise, le régulateur suisse avait déclaré que 16 milliards de francs suisses de la dette Additional Tier 1 du prêteur seraient ramenés à zéro, alors que les actionnaires recevraient une certaine compensation.
La décision de donner la priorité aux actionnaires plutôt qu’aux détenteurs d’obligations AT1 avait ébranlé le marché des obligations AT1.
La spécificité suisse venait du fait que les AT1 émis par le Credit Suisse prévoient contractuellement qu’ils pouvaient être complétement effacés si une aide publique extraordinaire était accordée. La banque ayant reçu des prêts d’aide extraordinaire à la liquidité garantis par une garantie de défaillance de la Confédération le 19 mars 2023, ces conditions contractuelles étaient remplies pour les instruments AT1 émis par la banque. Il faut donc apprendre à lire les petites lignes à la fin des contrats.
La fusion-disparition
Tout cela serait assez joyeux si dans le même communiqué qui annonçait ces chiffres géants, UBS a déclaré qu’il poursuivrait l’absorption des activités nationales de Credit Suisse malgré l’opposition locale et politique à un accord qui devrait entraîner des milliers de suppressions d’emplois et de fermetures de succursales.
UBS, qui fonctionne depuis la fusion forcée mi-mars avec deux sociétés-mères indépendantes UBS AG et Credit Suisse AG, a ainsi déjà identifié dans l’immédiat 1000 doublons de postes en Suisse liés à l’intégration de Credit Suisse et 2000 supplémentaires dans les prochaines années. La banque a ainsi déclaré que les activités nationales de Credit Suisse seraient légalement combinées avec UBS l’année prochaine. UBS a également annoncé qu’elle prévoyait d’avoir achevé en grande partie l’intégration du groupe Credit Suisse d’ici à 2026, date à laquelle elle entend avoir réduit ses coûts d’au moins 10 milliards de dollars.
La décision d’UBS d’absorber les activités nationales du Credit Suisse et d’abandonner progressivement la marque de la banque, vieille de 167 ans, a été l’un des aspects les plus controversés de ce rachat.
Sergio Ermotti, directeur général d’UBS déclarait ainsi jeudi. “Notre analyse montre clairement que l’intégration complète est la meilleure solution pour UBS, nos partenaires et l’économie suisse”.
Il a en outre déclaré qu’UBS prévoyait de procéder à 3 000 licenciements en Suisse au cours des prochaines années, bien que la plupart des pertes d’emploi soient dues à des départs à la retraite ou à des départs non remplacés.
Bien entendu, du côté des associations patronales suisses, l’annonce est plutôt bien passé :
Ainsi, l’association patronale Employeurs Banques salue la démarche responsable d’UBS, concertée avec les partenaires sociaux, concernant la suppression de 3000 emplois en Suisse en constatant ainsi que les suppressions de postes interviennent dans un contexte du marché du travail favorable dans le secteur bancaire.