Fabrice Guez

Encore une banale histoire de liquidités : la flash-faillite de SVB

La très respectée “Silicon Valley Bank”, qui tenait son nom des liens étroits qu’elle avait tissés avec le monde de la technologie, des startups et du capital-risque, a soudainement et spectaculairement fermé ses portes ce vendredi. C’est la conclusion surprenante de l’un des
bankruns les plus rapides du XXIe siècle.

Les autorités bancaires californiennes ont donc décider de fermer vendredi SVB, une décision prise rapidement afin de protéger les clients de la banque américaine, alors que ses déboires se sont propagés sur les marchés mondiaux, affectant le secteur bancaire américain et européen.

Ce qui est peut-être aussi le plus intéressant c’est que ce sont les réseaux sociaux (eh oui, eux encore) qui ont alimenté et précipité cette chute. Ces réseaux sociaux qui sont le matériau qui était la plupart des clients de cette banque. Le cas sempiternel de l’arroseur arrosé.

Alors, aujourd’hui on se demande s’il s’agit simplement d’une catastrophe ponctuelle ou d’un signe de problèmes économiques plus graves qui n’ont pas encore été mis au jour.

Ce samedi 11 mars à 13h00, personne ne semble encore avoir les réponses à ces questions.

Le Contexte

La Silicon Valley Bank était il y a encore trois ( !!) jours, la 16e banque du pays en termes d’actifs.

Pour ceux qui ne la connaissent pas il faut préciser qu’elle a été un pilier du développement de la Silicon Valley pendant des décennies, se positionnant comme plus qu’une banque ordinaire en offrant des services bancaires et des conseils aux start-ups financées par le capitalrisque ainsi qu’aux entreprises en phase avancée de développement.

La banque compte parmi ses clients près de la moitié des entreprises technologiques par le capital-risque qui sont récemment entrées en bourse, et des sociétés de capital-risque telles que Kleiner Perkins y ont également effectué des opérations bancaires.

Le début du début de la fin

La Silicon Valley Bank a donc traversé une crise de liquidités qui a provoqué une onde de choc dans l’écosystème des startups et incité d’innombrables déposants à retirer leurs fonds des comptes de la banque.

Signe du stress financier généralisé qui a récemment pesé sur les startups, SVB avait déclaré mercredi que les taux d’épuisement des liquidités de ses clients, associés à la baisse des investissements en capital-risque, avaient entraîné une diminution des dépôts.

La crise de la banque souligne l’ampleur des turbulences qui touchent l’écosystème du capital-risque et soulève des questions quant à la capacité de nombreuses startups à surmonter la récession économique actuelle si elles ne peuvent pas récupérer leur argent auprès de la SVB.

Si depuis un certain temps, on murmurait que quelque chose ne tournait pas rond à la Silicon Valley Bank, les choses sérieuses ont donc réellement commencé ce mercredi 8 mars, seulement 48 heures avant le dépôt de bilan de la banque.

Ce jour-là, SVB a annoncé une série de décisions :
• Elle a vendu 21 milliards de dollars d’investissements (en gros, tout
ce qu’elle pouvait vendre) pour une perte de 1,8 milliard de dollars
après impôts
• Elle emprunte 15 milliards de dollars et prévoit une vente d’actions
d’urgence pour lever 2,25 milliards de dollars supplémentaires.

The Usual Suspect

Qui était le coupable de cette rapide fonte des investissements ?

Évidemment toujours le même depuis 18 mois : l’inflation !

Cette inflation qui avait fait fondre la valeur des obligations à long terme que SVB avait accumulés dans son portefeuille et la valeur des MBS, ces titres adossés à des créances hypothécaires que la banque avait achetés à l’époque de l’argent facile.

Désormais, les startups étaient moins à l’aise avec leur liquidité et commençaient à retirer plus d’argent de leurs comptes, ce qui signifiait que la banque avait besoin de plus de liquidités, c’est-à-dire d’argent réel, à distribuer.

Bien entendu, les banques ne conservent pas tout l’argent déposé dans un coffre-fort (malgré ce que certains de mes élèves pensent parfois).

Si, pour une raison quelconque, un nombre inhabituel de déposants veut retirer leur argent, c’est un problème en soi. Et cela même si la banque est saine car elle n’a pas l’argent disponible pour le leur donner. Surtout aux USA où les contraintes baloises sur les devoirs de liquidités
ne sont pas appliquées aussi durement qu’en Europe.

Lorsque des rumeurs ont commencé à circuler à ce sujet, la panique s’est installée, et elle s’est installée rapidement, effaçant 10 milliards de dollars de la valeur de la banque jeudi et conduisant les startups et les organisations de tous types à commencer à retirer leur argent.

Le bank-run Usain Bolt

A part les effondrements liés à la cryptographie, SVB est l’une des premières banques que nous ayons vu souffrir d’une pénurie de liquidités qui l’a forcée à restructurer son bilan et à réaliser des pertes sur ses portefeuilles de titres

Le mercredi, dans l’espoir de calmer la situation, le PDG de la banque, Greg Becker, a appelé les investisseurs à “rester calmes” et à “nous soutenir comme nous les avons soutenus pendant les périodes difficiles”. Selon lui, la banque a résolu le problème des liquidités et se trouve sur une base solide.

Mais bien sûr, la consommation de liquidités par les clients de la banque s’est accélérée plus rapidement que prévu, ce qui a entraîné une réduction plus importante que prévu du niveau des dépôts. Il a indiqué que la SVB s’est tournée vers “davantage de dépôts à coût élevé et d’emprunts à court terme” pour répondre à ses besoins de financement.

Puis, M. Becker a continué avec la formule magique :

“If everyone is telling each other SVB is in trouble, that would be a challenge.”

Malheureusement pour Becker, il ne connait pas le monde d’aujourd’hui et l’importance des réseaux sociaux.

Car tout le monde a commencé à se dire que la SVB était en difficulté.

L’arroseur arrosé

Le paradoxe est là : le problème classique de l’auto-entretien d’un bank run a été surmultiplié par la vitesse à laquelle l’information circule sur l’internet (cet internet que contribue à développer la Silicon Valley Bank dans une des mises en abyme les plus cruels que l’on puisse trouver)

Car l’affaire SVB aurait probablement pu se calmer si elle n’avait pas été exacerbée par le fait qu’une grande partie de ses clients sont des utilisateurs invétérés de Twitter, réseau qui a amplifié la panique d’une manière qui ne s’est jamais vraiment produite historiquement.

En effet, les memes SVB ont proliféré, tout comme les groupes WhatsApp, les groupes Signal et les messages textuels, qui ont tous contribué à donner l’impression que le calme n’était pas une option.

Craignant que la banque ne fasse faillite, des fonds de capital-risque de premier plan comme Union Square Ventures et Founders Fund de Peter Thiel ont explicitement demandé à leurs entrepreneurs respectifs de retirer leur argent de la Silicon Valley Bank, ou au moins de ramener leurs comptes en dessous de 250 000 dollars, auquel cas l’intégralité de leur solde serait assurée par la FDIC.

“SVB traverse une grave crise de liquidités”, aurait déclaré Union Square Ventures à ses sociétés de portefeuille dans un email.

“SVB is in a severe cash crisis. Do NOT accept any offers from SVB to keep your money there even if they dangle 5% interest rates in front of you.”

Les entrepreneurs ont écouté. Jeudi soir, après que le cours de l’action de la banque eut chuté de 60 % en une journée, il semblait qu’il y avait peut-être encore une chance de sauver le patient. Le vendredi matin, le pronostic vital était engagé, car la chute s’est poursuivie pendant les heures d’ouverture du marché, la négociation des actions a été interrompue et des rapports ont inévitablement commencé à émerger, indiquant que la société cherchait un acheteur après avoir échoué à lever des capitaux à la dernière minute.

Les analystes bancaires de JPMorgan ont indiqué que SVB restait un actif intéressant, la qualifiant d’entreprise “de classe mondiale” qui semblait “très attrayante” à son évaluation actuelle.

Mais les dépôts ont continué à sortir à un rythme effréné et les autorités de régulation californiennes ont décidé qu’elles en avaient assez et ont annoncé la fermeture immédiate de la banque.

En conséquence, un mouvement inédit s’est développé : de nombreux acteurs du secteur ont appelé les gens à se rallier à SVB, vraisemblablement en y conservant leur argen.

Des sociétés qui se mobilisent pour sauver une banque : est-on entré dans un monde nouveau ?

“SVB est le plus important fournisseur de capital pour les startups technologiques et le plus grand soutien de la communauté. Il est temps de la soutenir”, a déclaré l’investisseur en capital-risque Villi Iltchev.

Sign of the times?

Alors que conclure ?

Les régulateurs avaient averti depuis longtemps que la fin des taux d’intérêt très bas pourrait provoquer des crises soudaines dans des coins inattendus de la finance mondiale.

Lorsque SVB fait faillite, les investisseurs se sont demandé si sa situation n’était pas le signe avant-coureur d’un problème plus vaste

Même si les grandes banques, surtout en Europe, sont beaucoup mieux capitalisées qu’elles ne l’étaient avant la crise financière mondiale, les dépôts de la SVB étaient exceptionnellement concentrés dans des startups financées par des capitaux à risque.

La chute des actions bancaires (jusqu’en Europe avec le secteur qui baissait de 6% encore vendredi) qui a suivi les déboires de la SVB a reflété les inquiétudes selon lesquelles les effets d’entraînement des hausses de taux d’intérêt pourraient toucher au moins les prêteurs les plus vulnérables.

Car, dans une situation qui a évolué aussi rapidement, la question est bien de savoir s’il s’agit d’une série d’événements malheureux à l’impact limité, ou d’une menace plus large pour le secteur technologique. Et aussi, pour le secteur financier.

Vendredi matin, deux autres petites banques américaines, PacWest Bancorp et First Republic Bank, avaient vu leurs transactions interrompues, ce qui a été attribué à la volatilité des transactions.