BLACKWOKE
Le Géant Vert
Tout le monde connait BlackRock et son CEO emblématique Larry Fink. En revanche, nous connaissons probablement moins
l’engagement ESG du gestionnaire d’actifs.
Pour ceux qui vivraient dans une cave, il est peut-être utile de rappeler que BlackRock est le géant de l’asset management. Fondé
en 1988, l’entreprise est célébrée pour le montant faramineux de ses actifs sous gestion : en effet BlackRock gère plus de 9000 milliards de dollars. C’est 7 fois plus que le leader européen Amundi. C’est aussi 3 fois le PIB de la France …
Les actifs gérés sont très divers et comprennent une vaste gamme de produits financier : fonds communs de placement, fonds négociés en bourse (ETF), fonds de pension, comptes de gestion discrétionnaire, etc.
Par sa taille, BlackRock avait souvent dans le passé été pris pour cible par de nombreuses manifestations activistes pour protester contre son inaction face à la crise climatique.
De fait, il y a quelques années BlackRock entamait son virage vert.
Car l’engagement ne date pas d’hier puisque Fink écrivait déjà en 2018 : « Les entreprises doivent se poser la question suivante : “Quel rôle jouons-nous dans la communauté ? Comment gérons-nous notre impact sur l’environnement ? Travaillons-nous à la création d’une
main-d’œuvre diversifiée ?”
Fink continuait sur le même registre dans sa lettre annuelle de 2020 destinée aux dirigeants des entreprises dans lesquelles BlackRock
investit. Il annonçait ainsi des transformations fondamentales dans la manière de gérer les fonds.
Le géant de la finance avait alors décidé d’inscrire la durabilité comme norme en manière d’investissement.
Ainsi, depuis des années, BlackRock et son PDG Larry Fink, défendent les stratégies d’investissement ESG. Quand on gère autant d’argent, au vu de l’influence considérable qu’il exerce automatiquement sur les marchés financiers internationaux, c’est un passage quasi obligatoire.
En tant que plus grand investisseur au monde, le groupe est un
symbole du secteur financier dans son ensemble, présent dans plus de 30 pays avec des bureaux dans les principales places financières du monde. Il entretient donc des relations étroites avec de nombreux acteurs clés de la finance mondiale, notamment des banques, des
compagnies d’assurance, des gouvernements et des institutions financières.
L’engagement climatique
« Le changement climatique constitue désormais un facteur
déterminant dans les perspectives long terme des entreprises », soulignait encore en 2020 Larry Fink. BlackRock exige désormais des entreprises qu’elles communique des informations normées sur les risques liés au climat.
En particulier les entreprises devaient indiquer comment elles entendaient respecter les Accords de Paris afin de limiter le
réchauffement de la planète à moins de deux degrés. Il déclare alors que « … nous vérifierons que les entreprises gèrent et surveillent
correctement ces risques dans le cadre de leur activité. En l’absence de rapports précis, les investisseurs seront de plus en plus enclins à
conclure que les entreprises ne gèrent pas les risques (…) de façon appropriée » ?
BlackRock a ainsi multiplié les annonces sur sa politique de gestion
en préparant par exemple l’extension de sa gamme de fonds indiciels cotés (ETF) durables, avec la création de fonds « jumeaux » pour les produits les plus populaires. Mais aussi une intégration systématique de l’analyse des risques ESG dans la composition de tous les
portefeuilles ou encore l’exclusion des portefeuilles de gestion active des entreprises réalisant plus de 25 % de leur chiffre d’affaires dans l’extraction du charbon thermique d’ici à la fin de l’année.
Au-delà, le groupe compte encourager ses clients à adopter la version
«durable» de ses ETF, qui seront proposés « à un prix comparable », et travailler avec les fournisseurs d’indices pour améliorer les offres de produits. Mais ce sera bien à ses clients de faire le choix de
changer de produit au profit de l’offre verte.
Le Parti Républicain, le pétrole et l’ESG
Le virage vert du géant de l’investissement n’est pourtant pas au gout de tout le monde.
Le parti républicain en particulier, qui affirme que BlackRock est en violation de leur obligation fiduciaire en poursuivant un programme
idéologique au détriment des rendements financiers. Le fameux “We can’t do well when we’re doing good”
Ainsi, certains États de la Bible Belt des USA, du Texas à la Virginie, états très marqués par le parti républicain mais aussi par l’industrie pétrolière, ont retiré des milliards à BlackRock afin d’empêcher les fonds de pension publics de prendre en compte l’ESG dans leurs
décisions d’investissement.
Le pétrole et le gaz suscitent des réactions hostiles à l’égard de l’ESG, considéré comme une menace pour les industries pétrolières,
gazières et charbonnières, alors que les États rouges luttent contre l’abandon des combustibles fossiles.
Les Républicains s’attaquent ainsi aux entreprises “woke” et ont lancé des enquêtes sur l’influence des grands gestionnaires de fonds dans des domaines aussi variés que la réduction des émissions ou la
justice raciale.
Les Républicains s’insurgent donc : “Aussi louables que soient ces objectifs, ils ne sont pas entièrement motivés par la maximisation de la valeur et ne correspondent pas aux opinions de nombreux
Américains qui investissent auprès de ces gestionnaires d’actifs”
L’ancien vice-président Mike Pence a critiqué le fait de faire passer des objectifs “de gauche” avant les intérêts des entreprises et de leurs employés, lors d’un discours sur la politique énergétique prononcé à Houston en mai dernier.
Dans un certain nombre d’États, les républicains proposent des
projets de loi visant à boycotter les entreprises qui s’engagent dans la voie du développement durable. Les républicains de la Chambre des représentants ont déclaré qu’ils prévoyaient d’enquêter sur l’ESG lors d’auditions au Congrès cette année.
Plus généralement, les législateurs républicains du pays accusent BlackRock et d’autres gestionnaires d’actifs d’utiliser leur influence pour promouvoir des politiques libérales et exercer une pression
indue sur les entreprises pour qu’elles réduisent leurs émissions ou embauchent des conseils d’administration plus diversifiés.
Chez BlackRock, on n’est pas de cet avis : la directrice générale de BlackRock déclare ainsi “Nous n’avons qu’un seul parti pris : c’est
d’obtenir les meilleurs rendements ajustés au risque pour nos clients”.
M.Fink nie aussi toute motivation politique. “Le capitalisme
d’actionnaires n’a rien à voir avec la politique. Il ne s’agit pas d’un programme social ou idéologique.
Pourtant les trois géants de l’Asset Management, BlackRock, de Vanguard et State Street, participe à la coalition Net Zero Asset Managers, composée d’entreprises qui se sont engagées à ce que
leurs portefeuilles n’émettent pas de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
En réaction, un livre blanc rédigé par les républicains de la
commission sénatoriale des banques, du logement et des affaires urbaines a contesté la participation cette coalition. De ce fait,
Vanguard a indiqué qu’elle se retirait de la coalition afin de “montrer clairement qu’ils s’exprimaient en toute indépendance sur les
questions importantes pour leurs investisseurs.
Le marteau et l’enclume
Ainsi, pour les républicains, le gestionnaire néglige les meilleurs rendements, en se souciant en priorité des valeurs sociales ou environnementales.
Pour le camp démocrate bien sûr c’est tout l’inverse, et BlackRock représente l’exemple même du grand fonds capitaliste qui ne se
soucie que d’un minimum de green washing pour continuer à jongler avec les milliards sans qu’on l’embête. De l’autre côté du spectre politique, les démocrates et les écologistes ont reproché à BlackRock de ne pas en faire assez sur le front de l’ESG et de conserver des participations importantes dans des entreprises de combustibles fossiles et des fabricants d’armes à feu.
Ce nouveau front de la guerre des cultures s’intensifie alors que le parti républicain a pris le contrôle de la Chambre basse des
représentants en janvier 2023 mais que d’autre part la Securities and Exchange Commission a proposé d’obliger les entreprises à divulguer les risques que le changement climatique fait peser sur leurs activités lorsqu’elles déposent des déclarations réglementaires.
Les efforts environnementaux des entreprises comprennent souvent la réduction de l’empreinte carbone et le désinvestissement des
combustibles fossiles. Les investisseurs tiennent désormais compte de ces efforts lorsqu’ils décident dans quelles entreprises investir, et cette tendance gagne du terrain.
En 2021, de grands gestionnaires de fonds se sont rangés du côté d’un investisseur activiste, Engine No. 1, pour obtenir des sièges au conseil d’administration d’Exxon Mobil, dans le cadre d’une
campagne de procuration visant à inciter le géant pétrolier à mieux se préparer aux réalités financières du changement climatique.
Le vote sur Exxon a montré aux républicains à quel point les trois principaux gestionnaires de fonds – BlackRock, Vanguard et State Street – ont de l’influence sur les entreprises publiques.
Un groupe de 19 procureurs généraux d’État enquête sur le rôle des banques dans une coalition visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils affirment que les banques favorisent les entreprises qui suivent un “programme de lutte contre le réchauffement
climatique”.
Ron DeSantis, gouverneur de Floride et potentiel candidat à la présidence en 2024, est l’un des chefs de file du mouvement anti-
ESG. Il a marqué des points politiques en menant une guerre contre la “wokeness” des entreprises, qu’il s’agisse de la législation limitant la manière dont les employeurs privés proposent des formations à la diversité ou de la querelle avec Walt Disney au sujet de son
opposition à la législation de l’État interdisant l’enseignement de
l’identité de genre et de l’orientation sexuelle dans les classes de la maternelle à la troisième année d’école.
Power to the People
Larry Fink a décidé de frapper un grand coup : il vire vers la
démocratie directe. Alors que le gestionnaire d’actifs s’efforce de réfuter les allégations des républicains selon lesquelles il poursuit un
« agenda woke », la dernière lutte entre les républicains et
BlackRock s’est déplacée du terrain de l’environnement au terrain de l’investissement.
En effet, depuis deux ans, BlackRock promeut une responsabilité des investisseurs en leur donnant l’option de voter sur ce à quoi servira leur argent.
Un système que l’entreprise veut étendre à une part croissante des fonds qu’elle gère, en particulier à son fonds star de plus 350
milliards de dollars, IVV. Le gé(r)ant va donc donner aux investisseurs de son plus grand fonds la possibilité de participer au vote par
procuration en 2024 et joint par là même ses homologues State Street et Vanguard pour expérimenter des moyens d’impliquer les
investisseurs ordinaires dans le vote des propositions d’actionnaires, à un moment où leur influence collective sur les entreprises
américaines a été critiquée par la gauche et la droite.
Charles Schwab avait commencé à sonder les investisseurs
particuliers dans trois fonds l’année dernière, Vanguard a mené un projet pilote impliquant trois fonds ce printemps et State Street a lancé un programme plus vaste en avril.
Les investisseurs pourront choisir entre une politique de vote tournée vers les profits, ou au contraire plus respectueuse d’enjeux moraux et climatiques. Ils seront ainsi invités à choisir parmi sept politiques générales différentes, allant du vote général avec la
direction à la priorité donnée aux valeurs catholiques ou aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ce système devrait
être mis en place pour la saison de vote par procuration de 2024 et sera un test grandeur nature pour mesurer l’intérêt des investisseurs dans ce genre de système responsabilisant.
Les investisseurs pourront également demander à BlackRock de
continuer à exercer les droits de vote attachés à leurs actions mais les clients ne seront pas en mesure d’exprimer des votes spécifiques sur des sociétés particulières.
Les politiciens républicains au niveau fédéral et des États ont accusé les grands gestionnaires de fonds de faire passer les objectifs sociaux et environnementaux avant les rendements financiers des
investisseurs, ce qu’ils nient tous.
Les militants sociaux progressistes, quant à eux, sont furieux que les gestionnaires de fonds aient soutenu une part plus faible des propositions d’actionnaires sur les questions climatiques qu’ils ne
l’avaient fait en 2021 mais les gestionnaires de fonds affirment que les propositions étaient devenues trop prescriptives et qu’elles
n’étaient plus dans l’intérêt des investisseurs